30/06/2011

Supersilent - 5 (2001)




















Déjà entamée sur un précédent opus plus explicitement jazz, c’est ici, au travers de ces 70 minutes compilées par Helge Sten sur plus de 30 heures de concerts donnés à Oslo, Londres et Bologne, que s’accentue l’orientation « ambient » de la musique de Supersilent, même si ce terme me répugne un peu la concernant, tant cette dernière excède, de par sa liberté formelle, les catégories et les simplifications qui tenteraient de la contenir. A l’appui de cette affirmation, le jeu de Vespertad, par exemple, se fait globalement plus épars, discret, amorti, carrément absent, parfois ; même si cela ne l’empêche pas, vers la fin de l'excellente première piste, et de concert au pianotage rythmique de Storløkken (allant jusqu’à rappeler l’intensité fiévreuse d’un 6 ou d'un 7), de durcir ses frappes et de faire monter d’un cran la pression. Dense en détails et en brèves incisions, mystérieuse, riche en nuances et en contrastes clairs/obscurs, la musique de Supersilent s’étire maintenant en longues plages improvisées, pour la plupart excédant les 10 minutes (quasi-20 minutes pour les deux plus longues). Théâtre d’ombres et d’inquiétudes fugitives, de gouffres massifs et d’émergences lumineuses, jamais l’univers de Supersilent ne s’est fait aussi fascinant, insaisissable. Bâti autour du silence, ce « presque rien », s’il n’en reste pas moins dynamique et captivant de bout en bout, exige peut-être moins d’effort à fournir pour suivre de l’oreille chaque apport et chaque mouvement – moins d’intenses et rapides télescopages (ce qui évidemment ne signifie pas qu’il n’y en ait plus), pour des sculptures de paysages sonores liquides, fluants, hantés par l’impénétrable mélancolie des minces thèmes qu’Arve Henriksen module, oriental (la manière de sonner de cette trompette me fait penser à une sorte de...flûte asiatique?), au gré des rideaux cristallins (theremin ?) qui tombent en pluie sur des nappes de plus en plus amples, de plus en plus profondes et grondantes (5.3)… distante, posthume, spiritualisée, la trompette plonge alors dans le sein de cet océan aux oscillations dansantes, et dont l’épiderme plein, texturé, pétrifie et engloutit le regard... et ce, jusqu'aux glaçantes plaintes émises par ces 5 minutes finales, graduelle montée en puissance dans la cacophonie. Les deux dernières pistes, à ce titre, mériteraient deux chroniques dans la chronique. Je préfère vous laisser avancer de votre propre chef dans ces labyrinthes de l’âme.

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24/06/2011

Supersilent - 4 (1998)




















Outre une musique qui s'avère, à chaque album, irréductiblement singulière en terme d'atmosphères et de couleurs, Supersilent a ceci de particulier que le minimalisme de leur artwork ne révèle rien qui pourrait traduire une réflexion des artistes sur leur propre musique. La pochette est un monochrome qui ne délivre que les informations essentielles (code-barre inclu!); l'intérieur du livret révèle, quant à lui, d'informes et désinvoltes gribouillages. L'auditeur n'a donc affaire qu'à lui-même, aux interprétations qu'il formulera a posteriori pour qualifier la musique (lesquelles, bien entendu, n'engagent que lui). Logique, au fond, puisque l'essence du projet réside dans l'improvisation libre. Pourquoi en effet ces types devraient parler de leur musique ? Ils se réunissent, et jouent. Point barre.

Pour moi les membres de Supersilent sont des créateurs d'oeuvres ouvertes. Des mediums nécessaires à ce que l'évènement musical, pur de tous référents extérieurs (de tout ce qui ce pourrait induire préjugés et préconceptions) vienne à la présence, s'offre au sujet dans toute l'opaque densité de son mystère, d'un sens qui se cherche, encore et toujours, fascinant, captivant... ou aveuglant, lorsqu'enfin il éclot et se dévoile, indubitable, inexprimable, dans une rayonnante et bienheureuse épochè... d'une musique dont je ne serai pas surpris d'apprendre qu'elle constitue, aux yeux de ses géniteurs, un être autonome et absolument détaché de ce à quoi ils s'attendaient, produit de leurs impulsions. Une sorte de "laisser-être", si l'on veut.

Bon, si Supersilent sur ce 4 se fait nettement moins violent et bordélique que sur le 1-3, manifeste extrémiste et sauvage dans le non-concessif, il n'en reste pas moins radical, rigoureux, et assez intéressant, quoique relativement anecdotique (peu de ces moments hors du temps qui, pour moi, font le sel de Supersilent). Toujours cette même dualité entre un versant "ambient" ici légèrement accentué (la diffuse et pulsante 4.1, l'inquiétude captivante de 4.2, avec ces superbes textures de Ståle Storløkken débouchant sur une fin haletante) et de parties plus rentre-dedans, qui exige que l'on suive d'une oreille attentive tous ces détails qui fusent et rentrent fiévreusement en collision... les trames, denses et composites, témoignent toujours de ces incessants télescopages de sonorités hétérogènes, grouillantes, supersoniques, tantôt abstraites (les modulations noise agiles et rétractables des machines) ou chaleureuses (la trompette qui temporise, le jeu étonnant Vespestad), mais souvent pertinentes, parfois moins, pour peu que l'on fournisse l'effort de concentration nécessaire... ce 4, s'il décrispe en partie la rage et la fureur du propos initial, ne fait que le rendre plus digeste (3/4 d'heures aussi, ça aide).

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18/06/2011

Supersilent : 1-3 (1997-2003)
























Les débuts de Supersilent sont éreintants, définitivement plus rudes et hermétiques que le reste de leurs productions. Ce triple album, réunissant 13 pistes enregistrées en studio pour plus de 3 heures de musique, montre que la raison d'être du projet a toujours été l'improvisation; une liberté de forme débridée et malsaine, riche en contraste et en ambivalence, donc foncièrement insaisissable. Une sorte de Soft Machine malade, enragé, noise dans son orientation, "ambient" lorsque retombe l'intensité générale (par exemple le deuxième disque, illuminé par cette trompette surplombant les amples et froides nappes tissée par Ståle Storløkken). Un Soft Machine aliéné, déshumanisé, rendu âpre par le corps-à-corps viscéral et quasi-exclusif avec les composants électroniques, où c'est le son pris en lui-même, sa matière qui se trouve malaxée, modelée, formée et déformée - d'où, en corollaire à cette intensité physique, brûlante, un rendu farouchement froid, abstrait qui risque d'en rebuter plus d'un.

A l'image de ce premier morceau, apeurant par sa longueur (30 minutes) : une concaténation de rythmiques prenant votre oreille droite comme punching-ball, d'improvisations électroniques/noise d'Helge Sten ou du trompettiste qui jaillissent en persécutions polymorphes (ça poinçonne, se torsade, se déchire), recouvrant une voix froide qui mécaniquement débite des sortes d'ordres ou d'instructions, le tout traversé par la beauté fantomatique, extraite brute du chaos, des minces filets qu'Arve Henriksen laisse échapper de sa trompette... tout en rythme et en détails fusants, plus accrocheuse, c'est limite si la deuxième piste me fait pas penser à une sorte de Single Unit caustique.
La troisième piste, elle, dépasse tout, et se pose à ce jour comme le morceau le plus éprouvant de ces sapajous : 14 minutes de déflagrations harsh-noise haletantes, impitoyables, qui à force de dilacérer la trame sonore, vous laisseront abasourdis.

Mais à l'exténuation et à l'insupportable, se succèdent chez Supersilent des moments de grâce aveuglants, où les masses denses et composites s'élèvent, figent le temps et saturent l'espace, des moments au rayonnement tel qu'il me plaît de les qualifier d'"épiphaniques". Ainsi la dernière piste du 1er CD, où il nous semble surprendre la naissance du groupe qui, l'espace de 15 ineffables et supra-terrestres minutes, touche véritablement à quelque chose d'essentiel. L'inouïe advient, se fait entendre; la magie de Supersilent opère, initiant la mise en présence de l'inconnu. Ces instants de grâce, nous ne les retrouverons guère que sur le 6 ou le 7. Et ce n'est que le premier CD... les autres ne sont pas en reste : tous témoignent de cette polarité qui semble travailler de l'intérieur cette musique. Chacun d'eux sont autant de fondations intimidantes à ce que ces norvégiens proposeront dans le futur. Ce 1-3, au fond, c'est un peu l'accomplissement moderne de la démarche du Miles électrique...

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